Jusqu’au VIIe siècle, le secret de la fabrication du papier restera chinois et japonais. Le papier était déjà connu au proche orient, en Perse, près de Samarcande ou dans la péninsule arabique, mais comme papier d’importation. C’est en juillet 751 qu’un événement majeur va modifier l’histoire du papier : la victoire des troupes abbassides sur les troupes chinoises de la dynastie Tang pour le contrôle de la région d’Asie Centrale à Talas (al-atlakh), près de Samarcande.
La bataille de Talas est une date symbolique à plusieurs titres : jamais des forces musulmanes n’iront plus à l’est de la rivière Talas, tout comme aucune troupe chinoise n’ira jamais plus à l’ouest. De plus, de nombreux prisonniers chinois furent vendus comme esclaves à Samarcande, Bagdad et Damas. Parmi ces prisonniers, certains connaissaient des techniques chinoises encore tenues secrètes : le papier et la soie. L’utilisation de la fabrication du papier va alors se diffuser dans tout l’empire abbasside, avec la diffusion du Coran et des ouvrages de science et de littérature. On peut affirmer que la révolution du papier permit le développement de l’âge d’or islamique.
Le papier qui sera fabriqué à Samarcande le sera sur le modèle du papier chinois. C’est le papier du Khorâsan, à base de fibre de bambou et de crin animal, connu sous six modèles différents dont le plus réputé est le « pharaonique » fir’awni, en relation avec le papyrus alors en vogue et sa disposition en rouleau.
La diffusion se fera très vite sur la route du papier et de la soie et le pourtour méditerranéen : 50 ans après, vers 794-795 le papier se fabrique à Bagdad sous le règne d’Haroun al-Rachid, puis à Damas et à Tibériade vers 1046 – on parle alors de papier de Tripoli ou de Damas, et sa qualité est considérée comme meilleure que le papier de Samarcande – au Caire avant 1199 où il est utilisé comme emballage de marchandise, et au Yemen au début du XIIIe siècle.
Dans le même temps, plusieurs fabriques de papier s’installent à leur tour en Afrique du Nord – on recense ainsi à Fès au Maroc 104 fabriques de papier avant 1106, et 400 meules à fabriquer du papier entre 1221 et 1240 – et dans l’Espagne andalouse – à Jativa, près de Valence, en 1054 et à Tolède en 1085.
Le papier mettra un peu plus de temps pour arriver en pays ottoman : à partir de 1400 à Amasya en Anatolie, 1453 à Kagithane, proche d’Istanbul, et 1486 à Brousse.
Les principaux apports arabes à la fabrication du papier tiennent surtout à la matière première : le mûrier, le bambou et la ramie sont remplacés par le lin, le chanvre lui subsiste. Lin et chanvre sont majoritairement utilisés sous forme de recyclage de vieux chiffons fermentés, ébouillantés, et battus à l’aide de maillets pour libérer les fibres sous la forme d’une pâte humide – il est à noter que cette préparation est assez similaire à celle des fils à tisser. De lourdes meules de pierres servent à réduire ces matières en pâte, mues par des animaux ou des esclaves, puis par la force hydraulique à partir du Xe siècle.
Il faut pour fabriquer le papier un moule : c’est la forme. La forme, souple ou mobile, était constitué de deux parties non fixées l’un à l’autre : un cadre bois rectangulaire et un écran ou tamis dont la trame est faite de fils parallèles au grand côté du rectangle : les fils vergeurs. La chaîne qui sert à maintenir les fils vergeurs est faite de fils dits fils de chaîne. On peut distinguer les différents types de forme suivant les traces laissées ou non, et leur espacement, sur les feuilles fabriquées. On trouvera ainsi trois types de papier : sans fils, sans fils de chaine, et avec vergeures et fils de chaîne. Ces types de papier, ainsi que les différences d’espacement entre les vergeures laissées sur le papier permettent de faire la différence entre papier arabe oriental, papier arabe occidental et papier non arabe provenant des régions les plus orientales du monde islamique.
Le beau papier arabe est ferme et souple, et la finesse de la feuille ne parait pas être la qualité la plus recherchée, ni la transparence. Les papiers orientaux non arabes sont au contraire très fins très clairs et même translucides. C’est le papier arabe occidental, aux vergeures moins espacées que le papier arabe oriental, qui sera à l’origine du papier italien qui va provoquer la disparition de la fabrication du papier dans le Monde arabe en quelques siècles.
La diffusion du papier provoque une profonde révolution culturelle : jamais les connaissances n’avaient été diffusées avec une telle ampleur, une telle rapidité et pour un moindre coût. Cet essor accompagne l’âge d’or islamique : des milliers d’œuvres sont dorénavant disponibles dans les bibliothèques des grands centres intellectuels tout comme dans les plus humbles madrasas de province ou les plus petites mosquées.
Bayt al-Hikma, la Maison de la Sagesse, est fondée par al-Ma’mûn à Bagdad qui devient le foyer culturel de l’Islam. Elle se spécialise vers 815 dans la traduction en arabe de manuscrits scientifiques et philosophiques, plus de cent traducteurs y travaillent ainsi qu’une équipe de copistes, scribes et relieurs. La Maison de la Sagesse abrite une très riche bibliothèque dirigée par le mathématicien et géographe al-Khwarimi. Les traducteurs des VIIIe et IXe siècle , travaillant sur des originaux grecs, latins, sanskrits syriaques ou persans, vont ainsi créer de toutes pièces une langue arabe apte à exprimer poésie, science et philosophie.
Cet âge d’or islamique qui débute au milieu du VIIIe siècle va se terminer vers le milieu du XIIIe siècle, avec les croisades et les invasions mongoles. L’histoire du papier se continuera elle en Europe, avec des inventions majeures comme le filigrane puis la typographie de Gutenberg.